Don Juan

En résumé : 
Pays : Canada
Spectacle de Félix Gray

A l'origine, on y entendait qui ?
- Don Juan : Jean François Bréau
- Maria : Marie Eve Janvier
- Raphaël : Philippe Berghella
- Elvire : Cindy Daniel
- Don Carlos : Mario Pelchat
- Don Luis : Claude Lancelot
- Isabel : Geneviève Charest
- Le gitan : Chico Castillo

Ca raconte quoi ?
Enchaîner les conquêtes, voilà la passion de Don Juan. Sans scrupules, ce séducteur promet même le mariage à celles qui lui résisteraient encore. Jusqu'au jour où il séduit la fille du Commandeur ... Celui ci, pour venger l'honneur de sa fille, provoque Don Juan en duel, et y laisse la vie. La sentence du spectre sera terrible : la punition de Don Juan sera l'amour ...

Ce que j'en pense ?
Je continue dans ma lancée sur les spectacles qui n'ont pas du tout marché en France, mais cet article sera sensiblement différent du précédent.

Qui se souvient réellement de Don Juan en France ? Pour la plupart des gens, ce nom ne leur rappellera rien. Pourtant, il y avait eu 2 singles de sortis à l'époque mais le public français n'avait pas accroché et le spectacle était retourné de l'autre côté de l'Atlantique. Alors on peut aisément comprendre pourquoi "Cindy" a été un four et "Belles belles belles" un succès plus qu'en demi-teinte, mais pourquoi "Don Juan" n'a-t-il pas pu percer en France ? Hé bah je sais pas ! Ou du moins, j'ai une ou deux hypothèses mais je cherche encore, sans vraiment comprendre ...

Don Juan ... N'a pas grand chose du Don Juan de Molière qu'on connaît tous et qu'on a été forcés d'étudier en cours de français au lycée ! La seule chose conservée est le fil conducteur de la "légende", en l'occurrence le côté séducteur du personnage. Pour l'histoire, à l'exception de Don Luis, Elvire et Don Juan, tous les personnages sont fictifs et l'histoire très romancée. Sur ce point, je pense que c'était un changement nécessaire, la pièce en elle même aurait été compliquée à adapter en l'état et si on regarde vite fait tous les spectacles de comédie musicale francophones ou anglophones, la très grande partie tournent autour d'une histoire d'amour !
Cette histoire ci tourne donc autour du quatuor amoureux Maria/Don Juan/Raphaël/Elvire. Du moins en partie. C'est l'un des points qui me dérange un petit peu dans le spectacle, le déséquilibre entre les 2 actes. Le premier est consacré essentiellement à la trahison d'Elvire par Don Juan et à montrer son côté séducteur qui enchaîne les conquêtes, tandis que le second raconte son histoire avec Maria et Raphaël. En gros, il se passe pas mal de choses dans le second acte et assez peu dans le premier finalement. L'histoire est un peu longue à se mettre en place et c'est dommage. Je pense qu'on aurait gagné en fluidité dans l'histoire à raccourcir la première partie, pour éventuellement plus développer certains points comme la rancoeur d'Elvire ou la fureur de Raphaël. J'aurais bien vu notamment une petite confrontation Raphaël/Maria; elle se contente de séparer les 2 hommes quand ils se battent, quasiment sans un regard pour Raphaël, j'aurais aimé un peu plus, une bonne explication entre les deux personnages, un truc chargé de colère, de douleur, d'émotion ...

Ce spectacle est comme les 10 Commandements, entièrement chanté. A tout casser, il doit y avoir 5 lignes de texte non chanté. C'est à double tranchant comme procédé. D'un côté ça oblige à tout raconter dans les chansons, ce qui fait, selon moi, des morceaux de meilleure qualité, mais ça peut déstabiliser le public dans un contexte où les précédents spectacles justement, proposaient un début d'équilibre entre chansons et scènes de comédie pure. Est-ce que c'est ça qui a pu desservir Don Juan ? Je ne pense pas.

Musicalement, l'équilibre est bon entre les ballades et les morceaux plus rythmés. A une ou 2 exceptions près, chaque personnage a un rôle égal, hormis Don Juan mais bon, comme le spectacle porte son nom, c'est un peu normal qu'il soit mis en avant. Le fil rouge de la plupart des morceaux est une tendance flamenco, même si c'est un peu moins flagrant sur certaines chansons. De nombreux intermèdes dansés entrecoupent l'histoire, et à nouveau, c'est un point qui me gène. Ils sont un peu trop fréquents à mon goût et la façon dont ils sont insérés dans le spectacle n'est pas toujours très heureuse, surtout sur la fin. Je m'explique un peu. L'un des morceaux les plus forts du spectacle, à mon sens, est "Seul", chanté par toute la troupe. Outre le fait que ça aurait fait un magnifique final, pour finir le spectacle sur quelque chose qui décoiffe, c'est le genre de morceau qui vous laisse un peu sonné tellement il est puissant émotionnellement parlant. Pour moi, il aurait fallu ne laisser aucun répit au spectateur, et enchaîner direct sur la bataille Don Juan/Raphaël, et ce qui s'en suit. Là, pour le coup, "Tristesa Andalucia", même si elle n'est pas uniquement dansée, casse totalement le rythme et l'intensité de l'histoire retombe comme un soufflé ...

Comme sur Cindy, la mise en scène est parfois un peu hasardeuse voire inexistante. Sur "Changer" notamment, quand Don Juan et Maria font face au public, et chantent au public, c'est une mise en scène bonne pour un final ça, pas pour un morceau en plein milieu du spectacle ! Alors oui, on retrouve ce genre de choses sur d'autres spectacles ("Une autre vie" chez Cléopâtre, par exemple), mais je ne sais pas pourquoi, ici, ça m'a vraiment choqué, surtout qu'ils remettent ça sur la fin de "Seulement l'amour". On retrouve certains éléments d'autres comédies musicales aussi ; les masques qui tombent sur "Changer" m'ont ramené direct à Roméo et Juliette et "L'amour heureux". Et puis pour certaines mises en scène, je suis passée complètement à côté de la signification ... "Qui ?", notamment, avec les masques et tout ... Je comprends pas tellement l'intérêt de la chanson, si ce n'est de permettre à Elvire d'exprimer un peu sa rancoeur, même si finalement, elle le fait aussi sur "Venge nous" et "L'enfant du Diable".

Visuellement parlant, les décors sont peut être un chouïa moins travaillés que d'autres spectacles ... Encore que ... On a plusieurs toiles de fond qui figurent différents lieux, pas mal d'accessoires aussi ... Disons qu'il y a juste quelques tableaux qui paraissent un peu vides mais rien de trop gênant.
Question maquillages, j'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé les maquillages des filles, avec cet espèce de double trait d'eye-liner qu'on retrouve chez chacune d'entre elles, mais make-up faux pas pour les lèvres d'Elvire ! Le crayon contour des lèvres plus foncé que le rouge à lèvres, c'est so 90's !! Pour les costumes, ce spectacle montre bien qu'on peut faire des costumes plus ou moins d'époque, sans avoir besoin de les moderniser comme ça a pu être fait pour Roméo et Juliette, Cléopâtre ou Mozart, et pourtant que ça reste très beau. Alors, ok, l'univers n'est pas du tout le même que sur Cléopâtre, et ce n'est qu'un avis personnel, mais la robe de Maria me fait beaucoup plus rêver que n'importe quel costume qu'on a pu voir sur Cléo. Parfois, ce sont les choses les plus simples les plus belles.
Chorégraphiquement, je n'aime pas trop, mais ce n'est qu'un avis personnel. Le parti pris étant de donner un ton flamenco au show, forcément, ça limite un peu côté danse. Et autant je reconnais qu'il y a énormément de travail et de talent de la part des danseurs, et que c'est toujours impressionnant de les voir faire, le flamenco, c'est pas ma came et avec un spectacle entier, je frôle l'overdose. Disons qu'il sera possible de toucher un public moins large de cette façon qu'avec des chorégraphies plus diversifiées ...

Du côté des chanteurs maintenant.
Il y a 2 "camps" dans les chanteurs. Ceux dont le personnage a un intérêt et ceux qui en ont moins. Dans celui qui en a moins, on retrouve Le Gitan, Don Luis, Don Carlos et Isabel.

Commençons avec Le Gitan. Déjà, je suis complètement passée à côté de la symbolique du personnage. Quand j'ai lu dans le programme la description du rôle, je me suis demandée si j'avais vu le bon spectacle ! Pour moi, le personnage n'a pas d'intérêt, et la couleur musicale gipsy du personnage, je n'adhère pas, ça m'agace au possible.

Don Luis ... Un papa un peu transparent en fait, dont l'interprétation, notamment lors du final, ne m'a pas convaincue à 100%.

Pour le personnage d'Isabel, on voit déjà un peu plus pourquoi il est là. "Victime" du charme de Don Juan, elle ne lui en tient pourtant pas rigueur, et c'est la seule, avec Maria, à accepter le séducteur comme il est, avec ses qualités et ses défauts. En fin de compte, c'est peut être l'un des personnages qui aime le plus Don Juan ... Du côté de son interprète, Geneviève est magnifique. Juste, sincère, avec ce qu'il faut d'émotion quand il faut, elle survole le rôle sans difficulté, aussi bien vocalement qu'émotionnellement.

Et puis il y a la problématique Don Carlos, le meilleur ami de Don Juan. Apparemment, Mario Pelchat aurait livré une "prestation mémorable" (sic). Il ne m'a pas laissé un souvenir impérissable en tous cas. Il chante très bien, sa voix ayant tantôt des accents de Johnny, tantôt des accents d'Eddy Mitchell, mais pareil, même si je comprends l'intérêt du personnage (le meilleur ami, confident et à la fois conscience de Don Juan), j'y accroche pas, indépendamment de tout le talent de son interprète.

De l'autre côté, il y a donc l'autre camp, composé de Raphaël, Elvire, Maria et Don Juan.

Ca n'a pas dû être toujours très drôle pour Cindy d'interpréter Elvire, le personnage étant triste de bout en bout ! Cependant, elle incarne à merveille la femme bafouée, trahie, partagée entre la colère et l'envie de vengeance qu'elle nourrit à l'encontre de son mari, et l'amour incontrôlable qu'elle lui porte. Elle m'a embarquée complètement sur chacun de ses morceaux et d'ailleurs, je trouve qu'elle a été bien lotie, parce que (selon moi), c'est elle qui a hérité de certaines des plus belles chansons du spectacle ("Dites lui", "Deux à aimer"), qui lui permettent d'exploiter une palette d'émotions assez larges, en comparaison à Maria.

Maria ... C'est assez marrant en fait, parce que quelque part, je trouve qu'elle a un peu ce côté niais caractéristique des femmes amoureuses dans les spectacles musicaux, mais pourtant, ça ne m'énerve pas comme c'était le cas sur Dracula par exemple. Marie Eve est absolument sublime; déjà physiquement, elle a ce côté "poupée", limite princesse qui ne fait que servir le rôle. Et elle a un petit truc qui fait qu'on ne peut pas ne pas l'aimer. C'est assez drôle aussi de voir que des 3, c'est la seule chez qui l'accent canadien s'entend autant quand elle chante, mais ça ajoute au charme du personnage (même si pour le coup, ça cadre pas franchement avec l'Espagne). Bref, j'adhère complètement, je suis totalement convaincue par sa prestation. C'est je pense aussi dû en partie au fait que quelque part, du fait de son histoire personnelle dans la vraie vie, on ne sait pas bien où s'arrêtent "Maria & Don Juan" et où commencent "Marie Eve & Jean François". Est-ce que la sensibilité aurait été la même, les larmes aussi réelles sans ça ? Je ne sais pas, mais au fond, peu importe, ça ne les rend que plus crédibles.

En ce qui concerne les 2 rôles masculins principaux, le casting a été particulièrement bien réalisé. Physiquement, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Mais qu'on n'aime ou qu'on n'aime pas, on ne peut pas nier que Philippe et Jean François ont tout les deux un truc en plus quand ils chantent, limite magnétique, hypnotique ... Leurs voix sont proches, peut être un peu trop d'ailleurs, mais leurs interprétations sont assez différentes. Philippe excelle selon moi dans le côté "amoureux trahi et brisé" (son regard notamment sur "Demain à l'aube" lorsque Maria clame son amour pour Don Juan est tellement désarmant), alors que pour Jean François, c'est aussi bien le côté "séducteur" que "amoureux" (même si, à nouveau, ce côté ci doit trouver sa source dans l'histoire personnelle de son interprète). Là où certains auraient pu se faire bouffer par l'ampleur du rôle, Jean François transcende le truc, notamment grâce à un charisme impressionnant dont certains premiers rôles de comédies musicales ont pu manquer (je ne citerai pas de nom pour ne vexer personne chez les fans).


Pas une fausse note pour : faire un choix est assez compliqué, mais je vais dire Jean François Bréau, pour la façon dont il porte le spectacle sur ses épaules de bout en bout
Partition à revoir pour : Chico Castillo
Le tableau coup de coeur : "Seul", une chanson tellement forte qu'il n'y a même pas besoin de fioritures dans la mise en scène, le morceau se suffisant à lui même pour nous clouer sur place.

Le mot de la fin :
Je cherche encore pourquoi Don Juan n'a pas marché chez nous ... Je penche pour une question de timing, le flop de "Cindy" étant trop récent et le public peut être encore un peu méfiant par rapport aux spectacles musicaux. Je reste convaincue que ce show n'a pas eu le succès qu'il méritait et qu'à un autre moment, ça aurait pu très bien marcher. C'est dommage, mais on ne refait pas l'histoire ... En tous cas, si vous parvenez à mettre la main sur le DVD, n'hésitez pas, et sinon, le spectacle est disponible dans son intégralité sur Youtube, il vaut vraiment le détour !